Roue libre

« La bourse du Travail »

Article paru dans le magazine Déco IN Bordeaux N°4, rubrique « En vélo Simone » (novembre-décembre 2018)

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Photo : Jeremy Denon pour IN Magazines

La bourse du Travail, véritable palais du Travail, conçue, dans les années 30, par l’architecte de la ville, Jacques d’Welles, abritait une maison des syndicats et un palais des congrès. Pour Adrien Marquet, alors maire socialiste de Bordeaux et ministre du Travail, le bâtiment justifiait un effort architectural conséquent comme en témoigne la monumentale façade qui superpose deux colonnades, associées à un panneau sculpté. Cette façade, témoin de l’architecture classique, retient néanmoins les leçons du courant moderne car les éléments classiques sont non seulement disposés en dissymétrie, mais ils révèlent surtout les dispositions intérieures du bâtiment. Une place très importante a été réservée à la « décoration artistique ». À l’intérieur, le somptueux escalier du vestibule conduit à l étage où se trouvent quatre foyers. Dans ces derniers, quatre fresques réalisées par les grands peintres bordelais de l’époque exaltent la richesse de la vigne, de la forêt, de l’architecture, du port de Bordeaux et le travail des hommes qui produisent, par leur labeur, ces richesses. Le morceau de bravoure se dévoile dans la grande salle des conférences : une cinquième et gigantesque fresque, « La gloire de Bordeaux » que l’on doit à jean Dupas, le chef de file de la prestigieuse école de peinture
bordelaise. Les couleurs chatoyantes et les poses extravagantes des personnages composant cette fresque « néoclassique » en font une peinture finalement… baroque ! Inaugurée le 1er mai 1938, la bourse du Travail, par son architecture, et sa décoration, entre tradition et modernisme, est le chef d’œuvre de l’architecte Jacques d’Welles. Véritable hommage au monde du travail et à ses ouvriers, le bâtiment est miraculeusement parvenu jusqu’à nous, son décor intérieur (intact !) fait l’objet d’une restauration soignée. Bientôt, les Bordelais pourront retrouver la bourse du Travail pour admirer son décor et profiter de la salle de spectacle !


« 19 Rue Marengo »

Article paru dans le magazine Déco IN Bordeaux N°4, rubrique « En vélo Simone » (septembre-octobre 2018)

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Photo : Jeremy Denon pour IN Magazines

Dans le quartier Saint-Michel, on peut lire sur la façade du numéro 19 de la rue Marengo, de vieilles inscriptions nous apprenant qu’ici se trouvait, dans l’Entre-deux-guerres, la maison de Louis Gelis-Didot. Cette maison de commerce, d’import-export, de jambons, de pic-nic (sic), de graisses de saindoux… à destination de Paris, New-York… Si cette façade du numéro 19 de la rue Marengo a conservé les témoignages peints de son passé commercial, elle dévoile en outre, côté rue, des insertions d’éléments de serrurerie
témoignant d’une réhabilitation architecturale toute récente, en date de 2017. Une grande grille rectangulaire constituée de lames et de barreaux d’acier. Cette grille, enchâssée dans un cadre également en acier, joue un rôle de séparation entre la rue et l’entrée de l’immeuble, en même temps qu’elle délimite le dehors du dedans, qu’elle filtre aussi la lumière et les regards. D’autres grilles, dont la largeur et l’écartement des barreaux d’acier varient, telle des portées musicales verticales, rythment les différents espaces intérieurs. Les grilles d’acier sont parfois associées à des parois de verre et à la pierre. C’est ce même acier, « matière première » que nous retrouverons dans la structure des escaliers, des spectaculaires planchers du rez-de-chaussée et de l’étage, des poteaux soutenant les charpentes de bois heureusement conservées. L’étage, dont la charpente à fermes reste apparente, est éclairé par cinq «cages» de verre : véritables puits de jours verticaux transfigurant l’espace, étranges aquariums sculptant, rythmant et rendant ce lieu… magique ! La réhabilitation du 19 de la rue Marengo est due à l’agence d’architecture bordelaise Arthotech, associée à la prestigieuse agence catalane RCR (conceptrice, entre autres, du musée Soulages à Rodez). Si l’étage héberge aujourd’hui l’agence Arthotech, le rez-de chaussée est un lieu dévolu à la réception du public : « l’Espace Marengo » qui propose des séminaires, expositions et autres évènements. Jusqu’à 200 personnes peuvent profiter du lieu équipé, qui plus est, d’un studio photo. Les matériaux traditionnels, pierres, bois se confrontent superbement aux matériaux contemporains, le verre, l’acier… Dépouillement, sobriété, soins apportés aux détails, élégance des lignes des grilles jouant avec la lumière, avec la blondeur de la pierre associée au verre, l’espace Marengo est devenu un magnifique espace, une rénovation exemplaire telle que l’on devrait en découvrir plus souvent à Bordeaux…
A bas le placoplatre et vive l’espace marengo !


« Le Carrelet »

Article paru dans le magazine Déco IN Bordeaux N°3, rubrique « En vélo Simone » (avril-mai 2018)

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Photo : Jeremy Denon pour IN Magazines

On pourrait dire que le carrelet est une simple cabane de bois et de tôle, que l’on trouve en bord de Garonne et qui jalonne aussi les bords de l’estuaire de la Gironde. Elle est juchée, « tchanquée » , sur des pilotis . Une passerelle de bois permet d’y accéder et relie à la berge cette cabane de Robinson. Le carrelet s’avance sur le fleuve, c’est avant tout un poste de pêche et pour ce faire on trouve sur le devant de la cabane, un mât incliné vers la rivière qui porte un grand filet, filet carré ou circulaire. Manoeuvré par un treuil manuel, ce filet sert à pêcher les crevettes ou les poissons. Il a pour nom… carrelet, ecelui-là même qui a probablement donné son nom à notre cabane ! Les Marseillais ont leurs « cabanons » et les Girondins (invaincus à Lescure et au Matmut par les Phocéens depuis… 40 ans) leurs carrelets! Et oui les Girondins ont leurs palombières pour la chasse et leurs carrelets pour la pêche. On a recensé plus de 500 de ces petites thébaïdes. Beaucoup ont été reconstruites après la tempête de 1999 parce que les « propriétaires voulaient retrouver et jouir de leur petit coin de paradis en solitaire ou à partager avec leur famille, leurs amis… Il y a le carrelet rustique, le carrelet coquet, voire «fastueux» et – même – dit-on le carrelet « garçonnière »… Consécration et jour de gloire : en 2004 l’administration des ports a fait éditer un timbre sur les carrelets ! Ainsi le carrelet, plus qu’une simple cabane de bois et de tôle, est-il certes bâti (de bric et de broc le plus souvent) pour la pêche mais, c’est aussi un lieu de retraite, de repos, de bonheur qui permet de contempler, de faire corps, de vivre avec le fleuve-dieu Garon, discret et pourtant grave, glauques les yeux, pleins du regret des monts qui l’ont connu vif et clair comme un gave, Vieillard chargé de sel et de limons. Toute poudreuse était sa chevelure où l’on voyait plus d’une grappe mûre mais dans sa barbe, aucun poil n’était sec, des lamproyaux grouillaient dans son varech.
Auprès de lui, sur un plus humble siège, laissant trop voir en un pareil sourcil un même ennui des Bourboules de neige, sa vielle épouse était assise aussi : Dame Dordogne…
c’est ainsi que le poète André Berry (Bordeaux 1902 – Paris 1986) évoquait dans son immense épopée « Des Esprit de Garonne » notre fleuve souverain, décoré de son chapelet de carrelets…

 


« Fontaine Amédée-Larrieu »

Article paru dans le magazine Déco IN Bordeaux N°4, rubrique « En vélo Simone » (février-mars 2018)

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Photo : Jeremy Denon pour IN Magazines

En 1896 meurt Eugène Larrieu, à l’âge de 46 ans, au château Haut-Brion dont il est le propriétaire. Au nom de son père, Amédée Larrieu, ancien préfet de la Gironde, et député, Eugène Larrieu lègue à la ville de Bordeaux, d’une importante somme d’argent pour construire une fontaine publique sur la place de Pessac (aujourd’hui place Amédée Larrieu). En mai 1897 est arrêté le programme du concours ouvert entre tous les artistes français pour l’élection à Bordeaux d’une fontaine publique sur la place Amédée larrieu et les conditions concernant le règlement. Le jury, les droits de l’administration sont définis. Les concurrents devront remettre leurs plans, devis et maquettes le 15 novembre 1897 avant midi au plus tard. Et la dépense totale du monument ne pourra excéder 100 000F. Le programme doit rendre hommage à la ville de Bordeaux et à ses vins. La mairie reçut plus de cinquante demandes d’autorisation à concourir et vingt-trois projets furent
déposés à la date escomptée. C’est le sculpteur Raoul Verlet, né à Angoulême, qui remporta le concours. Le personnage principal de la fontaine de Verlet est la ville de Bordeaux, symbolisée sous la forme d’une femme nue, souriante, les cheveux relevés en chignon. Elle tient une grappe de raisin qu’elle dépose dans la hotte d’un petit amour-vendangeur. Elle est juchée, en guise de char, sur une gigantesque coquille d’huitre portée par des tritons barbus aux visages expressifs. Au revers du monument, cette même jeune femme tout aussi… dévêtue… est allongée sur le pont d’une barque déployant sa voile. Sur le pont du petit navire on voit une barrique de vin. Tritons, jarres d’eaux, langouste, tortue, crabe, bulots (!) cèpes de Bordeaux, constituent autant d’éléments d’une résurgence du style rocaille, composant un décor naturaliste fait pour exalter la grâce féminine… En 1901, l’équipe parisienne d’architectes de la fontaine (Bauhin et Barbaud) est sollicitée par la municipalité bordelaise, pour construire un marché sur la place. Construit à l’arrière plan de la fontaine, ce marché, va mettre en scène, superbement, celle-ci. Véritable écran et écrin architectural, l’édifice forme une longue façade horizontale, légèrement incurvée entre deux massifs verticaux et rectangulaires où sont placées deux autres fontaines sculptées par Verlet.
Au centre du marché, entre deux colonnettes de fonte, se déploie une demi-rosace en fer forgé et en forme d’éventail. Les gracieuses et sinueuses lignes qui composent cette demi-rosace s’achèvent en coup de fouet, caractéristiques de l’Art Nouveau. Comme le rappelle les professeurs Coustet et Saboya, l’ensemble de la place Amédée Larrieu, mélange de pierre et de fonte, alliance des styles rocaille et Art nouveau, est le chef-d’oeuvre bordelais de l’Art 1900.Les vœux d’un journaliste de La Gironde (lointain ancêtre du journal Sud-Ouest) évoquant à propos de la fontaine Larrieu son programme iconographique, un monument bien local, dont le principal mérite devrait être de conserver l’accent, de porter le cachet de notre pays… ont , à n’en pas douter, été exaucés ! Gloire à Bordeaux et à ses vins !

Ce qui ferait (et serait) classe serait de citer une biographie :
Robert Coustet et Marc Saboya, Bordeaux, Le temps de l’Histoire, editions Mollat, Bordeaux, 1999.

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